Devoir de réserve : attention aux dérapages sur internet !

Que ce soit à l’oral ou à l’écrit, les agents publics sont soumis à une obligation de réserve. Celle-ci s’applique aussi aux réseaux sociaux et blogs personnels. Petit rappel des devoirs de réserve, de discrétion ou du secret professionnel.

L’obligation de réserve, qu’est-ce que c’est ?

Ne cherchez pas dans la loi portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors du 13 juillet 1983. L’obligation de réserve n’y figure pas. Sa définition s’est en revanche précisée au fil du temps grâce à la jurisprudence.

Complexe, pour ne pas dire floue tant ses critères d’appréciation sont variés, l’obligation de réserve représente néanmoins l’un des fondamentaux des agents publics. « Tout agent public est soumis à une obligation de réserve en application du principe de neutralité du service public », explique Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT-Fonctions publiques.
Autrement dit, tout agent est tenu d’observer de la retenue dans ses propos, à l’oral ou à l’écrit, mais aussi dans son comportement, pendant et en dehors de son temps de service, de sorte à ne pas nuire à la dignité ou au bon fonctionnement du service public. « Cela suppose, par exemple, de ne pas critiquer ou dénigrer sa hiérarchie ou son service. Ou de ne pas dévoiler d’informations ou d’éléments relatifs à l’organisation du service », ajoute la responsable.

Un contractuel territorial s’est ainsi vu sanctionné pour avoir dévoilé sur internet des informations relatives au système de vidéosurveillance de sa commune (jugement du Conseil d’État du 20 mars 2017, n° 393320).

Sur internet, il arrive que les agents ne respectent pas leurs obligations. Ils franchissent la ligne jaune la plupart du temps « par ignorance de ce qu’ils peuvent dire ou ne pas dire sur les réseaux », résume Mylène Jacquot. Un éducateur sportif de Montargis a ainsi été révoqué pour avoir tenu des propos injurieux sur Facebook à l’égard d’un élu municipal.
Or « la jurisprudence des tribunaux administratifs apparaît unanime pour retenir que la diffusion sur des réseaux sociaux présente un caractère public, donc condamnable », rappelle Emmanuel Richaud, expert juridique à la CFDT.
De même, « l’anonymat ou l’utilisation d’un pseudo ne protègent pas plus qu’ils n’exonèrent son auteur dès lors qu’il est possible de découvrir l’identité de celui ou celle qui diffuse les informations ».

À l’encontre d’une administratrice territoriale de l’ex-région Aquitaine qui a écrit sous pseudo, l’ouvrage : Absolument dé-bor-dée ! ou Le Paradoxe du fonctionnaire, le conseil de discipline avait requis deux ans d’exclusion.

À noter, les fonctionnaires ou les contractuels ne sont pas seuls soumis à l’obligation de réserve. Sont aussi concernés les ouvriers d’État, les vacataires, les stagiaires de la fonction publique, « et même ceux qui préparent les concours d’entrée », précise Emmanuel Richaud. Et cette obligation continue de s’appliquer aux agents suspendus de leurs fonctions et aux agents en disponibilité.

Quelles sanctions ?

Ce qui rend ce sujet particulièrement complexe, c’est que les manquements à l’obligation de réserve s’apprécient au cas par cas, selon la nature des fonctions, le niveau dans la hiérarchie, les circonstances dans lesquelles l’agent s’est exprimé ou les modalités et formes de cette expression. Les sanctions sont donc d’autant plus sévères que la personne est haut placée dans la hiérarchie, sachant que les préfets ou les ambassadeurs sont même soumis à une obligation de « fidélité absolue ».

Un responsable syndical agissant dans le cadre de son mandat bénéficie quant à lui de plus de liberté.

Après réunion du conseil de discipline, les sanctions sont décidées par la hiérarchie. L’agent peut ensuite contester la décision devant le conseil supérieur de la fonction publique concerné, puis devant le tribunal administratif.

La forte inflation des contentieux devant les tribunaux administratifs indique que réseaux sociaux et obligation de réserve ne font pas bon ménage.

Réserve, discrétion et secret professionnel : quelles différences ?

À cette obligation de réserve s’ajoute une obligation de discrétion professionnelle relative à l’activité et au fonctionnement de son administration. Et certains agents sont tenus au secret professionnel concernant les informations touchant les usagers dont ils sont dépositaires dans le cadre de leurs fonctions. Ainsi, un agent du Trésor public, par exemple, ne devra jamais révéler les noms des contribuables ni les montants d’impôts auxquels ils sont soumis. Ou un enseignant ne pourra s’exprimer publiquement au sujet des élèves sans risque de sanction. La violation du secret professionnel est passible d’une peine au pénal.

 

     

Liberté d’expression versus devoir de réserve

C’était le « MeToo » des enseignants : à l’automne dernier, à la suite de l’agression d’une professeure par l’un de ses élèves au lycée Édouard-Branly de Créteil (Val-de-Marne), des centaines d’enseignants ont témoigné de leurs difficultés sur les réseaux sociaux. Confrontés aux violences dans le cadre de leur activité tant de la part d’élèves que de parents et regrettant le manque de soutien de leur hiérarchie ils ont lancé mot d’ordre #PasDeVague.

Y avait-il un risque pour ces enseignants d’enfreindre leur devoir de réserve ? « L’expression de ces difficultés sur les réseaux sociaux est légitime, elle est celle de tout citoyen, explique Annie Catelas, secrétaire nationale au Sgen-CFDT.


Mais il faut veiller à ce qui peut être dit, à ne pas être diffamant ou injurieux. » Comme pour d’autres mouvements d’enseignants, qui aujourd’hui s’expriment sur les réseaux sociaux, les « stylos rouges » ou « charivari », le risque est grand de dépasser les limites et de tomber sous le coup d’une sanction. Plusieurs rappels à la loi ont dû être émis ces derniers temps. « Sur le fond, concernant les revendications de ces mouvements, nous pensons qu’elles ne doivent pas se restreindre aux réseaux sociaux, mais doivent être portées autrement, dans le cadre d’un dialogue social construit », conclut Annie Catelas.